Radium : le prochain scandale éco-horloger ?

 

Voilà  un débat bien singulier qui anime les environs de la Chaux-de-Fonds. Depuis quelques temps, les langues se délient et animent un débat que l’on aurait dit économique, que l’on qualifie plus volontiers aujourd’hui d’écologique. Son objet : la réparation de la pollution au radium. Ce composant radioactif était utilisé suivant autorisation jusqu’en 1963. Avant cette date, il était donc libre d’emploi...et de rejet. L’industrie horlogère en profita pleinement, garnissant des centaines de milliers d’aiguilles de cette matière luminescente. 

 

 Ci-dessus, l'index 12 au radium

 

Un enterrement un peu précipité

 

Toutefois, le radium fut utilisé durant exactement 30 années supplémentaires, puisque le SuperLumiNova ne fut inventé qu’en 1993 par l’entreprise japonaise Nemoto. Cette nouvelle matière misait sur sa luminescence non toxique et non radioactive, en réaction au radium et autres matières radioactives utilisées elles aussi pour leur pouvoir lumineux la nuit, après exposition à une source de lumière. La transition se fit naturellement d’une matière à l’autre, et le radium fut enterré. Au sens figuré, mais aussi au sens propre. Et c’est précisément ce qui pose un problème aujourd’hui.

 

Car le radium n’en reste pas moins une substance radioactive. Sa concentration à l’échelle d’une paire d’aiguilles est insignifiante. Heureusement, d’ailleurs, pour certaines montres russes qui ont continué d’en faire un large usage bien après la transition SuperLumiNova... ! Mais à l’échelle d’une usine horlogère, la quantité de radium est plus problématique. Surtout quand l’usine a fermé et qu’elle laisse en l’état, dans ses sous-sols, des monceaux de gravats contenant de larges quantités de radium.

 

C’est ce qui a motivé un habitant de la Chaux-de-Fonds à saisir la justice. L’homme s’est porté acquéreur d’un immeuble qui abrite l’un des ces tas de gravas radioactifs. L’histoire ne dit pas si les émissions radioactives atteignent un degré nocif pour la santé, mais là n’est pas la question : son monticule de gravas et de radium reflète l’attitude d’une horlogerie qui a lourdement négligé le retraitement de cette matière dangereuse. Et qui s’expose donc à une sanction, 30 ans plus tard. 

 

 Exemple de luminescence d'un cadran au radium dans l'obscurité

 

1000 francs par immeuble

 

Doit-elle être pénale ? Morale ? Symbolique ? A hauteur des dégâts ? On imagine déjà que les marques concernées – pour celles qui existent encore – vont plaider qu’avant 1963, aucune loi ne régissait l’utilisation du radium, ni ce que l’on appellerait aujourd’hui son « recyclage ».

 

Il n’empêche. Il n’appartient pas au nouveau propriétaire d’engager les travaux de décontamination de son immeuble, encore moins d’enfouissement des déchets. Compte tenu de ses moyens, l’industrie horlogère aurait tout intérêt à faire amende honorable et à engager les frais de nettoyage de la situation actuelle. Surtout que ceux-ci, aux premières conclusions, semblent dérisoires. A Bienne, on parle de 1000 francs engagés par immeuble, pour décontamination et remplacement des éléments radioactifs, comme des canalisations. Avant de voir sa réputation salie, son nom trainée devant les tribunaux, balayant d’un coup tout une communication axée sur son « éco-responsabilité », l’horlogerie ferait bien de se saisir du sujet, rapidement, proprement. Au nom, au moins, d’une responsabilité morale. 

 

 Scène d'une manufacture horlogère dans les années 1920

 

Et demain ?

 

Au delà de ces cas immobiliers bien ciblés, on ne mesure pas encore la portée de cette prise de conscience. Car le fait que certaines canalisations soient contaminées révèlent deux autres choses : que le radium était, en certain cas, purement et simplement jeté aux toilettes, et que par conséquent, certains cours d’eau puissent être pollués. Et cela sans même mentionner les retraitements plus responsables qui ont été faits à l’époque, avec mise à la décharge...mais qui impliquent à leur tour que certaines décharges doivent être à leur tour analysées ! Sans même parler des employés, le plus souvent des femmes, qui manipulaient à mains nues la matière. On se souvient du scandale des Radium Girls américaines qui ouvrirent un large procès aux Etats-Unis dans les années 30. Elles virent leur préjudice reconnu et réparé à hauteur de 10 000 dollars par salariées.

 

Sommes-nous à la veille d’un scandale de l’horlogerie radioactive ? Il y a fort à parier que des bataillons d’avocats armés de chéquiers règleront le cas avec la discrétion et la diplomatie helvétiques. Tout le monde a à y gagner. Il n’en reste pas moins qu’à l’heure où le Swatch Group vient de publier son rapport annuel, richement agrémenté de sa politique RSE (Responsabilité Environnementale et Sociétale), que Richemont met un coup d’accélérateur sur le même sujet, la polémique fait tâche.

 

Olivier Müller

 

Visuels © Le Matin, Wikipedia, DC

 

 Matière de radium pour indexs et aiguilles de montres

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