Henry Ford, Hitler...et Shinola

Le temps efface tout. C’est une simple question...de temps. Seulement voilà, certains services marketing veulent parfois accélérer le cours de l’histoire. Au profit de substantiels gains immédiats certes, mais au détriment de certains devoirs élémentaires de mémoire. C’est l’histoire qui est en train de se produire avec la marque américaine Shinola.
Passé simple
Toute marque européenne de plus de 70 ans s’est, au moins une fois dans son existence, penchée sur ses activités durant la Seconde Guerre Mondiale. Quoi qu’en dise les marques et certains de leurs collaborateurs plus ou moins habiles pour réécrire l’histoire, le passé est parfois simple : ces marques ont, ou n’ont pas, servi le régime nazi. La marge d’appréciation, ou plus exactement la sortie de secours, consiste à distinguer les marques qui ont délibérément servi le régime nazi, de celles dont la production s’est retrouvée, sans volonté de leur part, en usage par le même régime.
M. Hugo Boss (proche d’Hitler), IWC (les fameuses montres KM, Kriegsmarine), Panerai (nageurs de combat), toutes ont servi le régime nazi, délibérément. Pour d’autres, les choses sont plus confuses, et savamment entretenues comme telles.
Dans le cas de Shinola, les choses sont, hélas pour elle, très simples. La marque, respectable en tout points, vient en effet d’éditer une série limitée à l’honneur d’Henry Ford. Henry Ford, entrepreneur de génie, fondateur de Ford Motors, inventeur de la première automobile de série (Ford Model T), concepteur du fordisme. Et antisémite notoire, décoré par le Reich, auteur de « Le Juif International » et seul américain cité dans Mein Kampf. On le répète : il y a certains cas où le passé est simple, clair, évident. Mais probablement pas pour Shinola.


Un quartz à 1000 dollars
Le patriote américain peu rompu à l’histoire accédera donc sans remords à la propriété de cette « Henry Ford Pocket Watch », limitée à 1000 exemplaires et vendue 1000 dollars. Ce même patriote devra également être fort peu rompu à la chose horlogère. Car, pour 1000 dollars (800 euros), il se rendra propriétaire d’une simple montre de poche en acier à mouvement à quartz. Autrement dit, d’un objet que l’on trouve en Asie, sans les décorations, pour 10 dollars.
Si la plupart des véritables marques horlogères précitées ont reconnu leur tragique passé, tourné la page et suivi le chemin d’excellence horlogère qu’on leur connaît aujourd’hui, le cas de Shinola est différent. La marque s’est relancée en 2011 et s’est axée notamment sur le développement de montres, avec comme partenaire mouvement suisse Ronda. L’histoire, notamment celle de M. Henry Ford, était donc déjà écrite, déjà connue.
S’en faire le chantre n’est pas interdit. Après tout, des millions d’automobiles Ford roulent chaque jour sans aucune ambigüité. Mais la marque est une chose, l’homme en est une autre. Honorer la mémoire de ce dernier n’est pas non plus interdit. Mais ce n’était pas nécessairement la meilleure idée.
Olivier Müller
Visuels © DR


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